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L'attente

 

Assise dans son rocking chair, elle se balance lentement, recroquevillée sur elle-même, les pieds calés sur la barre la plus haute.

 

 

 

Elle attend. Ou plutôt, elle semble attendre. Parfois, elle se lève. Alors sa longue chevelure noire tombe lourdement dans le creux de ses reins, contrastant avec la blancheur de sa chemise de nuit.

 

Elle se dirige vers le poêle sur lequel chante doucement la bouilloire, sa seule source de chaleur intérieure.

 

 

 

Le reste du temps, elle écoute. Le silence.

 

Ce silence qui a berce, la renvoie à des souvenirs. Des choses qu'elle préférerait oublier. Des choses qui l'ont blessée, des choses qui not fait qu'aujourd'hui, elle est cette femme à la fenêtre, qui soigne ses blessures.

 

Des blessures d'enfant, des blessures de femmes. Ce silence dans lequel elle a muré sa colère. Tant et si bien qu'aujourd'hui, cette colère ne peut plus, ne veut plus sortir.

 

 

 

Oui, elle est en colère. En colère contre les hommes qui n'ont pas su l'aimer, contre son père, contre sa mère qui l'ont laissée à son sort. En colère contre le monde entier, ce monde qui la retient prisonnière dans son chalet, loin de tout, loin des autres, loin d'elle-même.

 

En colère contre elle-même. Parce qu'elle n'a pas su comprendre, elle n'a pas pu accueillir ce qui en elle lui disait, lui hurler de partir, de s'échapper. De devenir la femme qu'elle était au fond d'elle.

 

 

 

Ou plutôt, non, elle n'est même plus en colère. En fait, elle ne sait pas, elle ne sait plus. Elle n'a même plus envie de le savoir.

 

 

 

Elle voudrait être comme ce paysage qu'elle voit sans vraiment le voir par la fenêtre. Cet arbre nu, solidement planté dans le sol, dont les racines s'enfoncent loin dans la terre, dans la terre mère et qui n'a pas besoin d'une raison pour vivre. Qui est là, juste parce qu'il est là.

 

Elle a besoin de se nourrir de la terre, de cette force qui émane de la terre. Elle a besoin de cette vue imprenable sur cet arbres, sur ces montagnes, sur cette étendue de neige. Tout semble si calme au dehors quand en elle, tout est si confus.

 

 

 

Elle voudrait se fondre dans ce paysage, être solide, ne plus se soucier de rien, ne plus se soucier des autres. Ne plus chercher à comprendre pourquoi elle est là. Elle voudrait que le silence l'enveloppe dans un voile de coton, comme la neige enveloppe tout ce paysage.

 

Mais ce silence n'est pas. Le tic-tac de la pendule, le crépitement du feu dans le poêle. Tout la ramène à ici et maintenant. A cette solitude, à cette absence qui est la sienne.

 

 

 

Elle ferme les yeux pour mieux se concentrer sur son silence intérieur. Le bruit de sa respiration la calme quelque peu. Ne plus penser, se laisser bercer par la douce vague de sa respiration. Détendre son corps. Laisser le sentiment de solitude de côté et aller chercher en elle-même les ressources pour vivre ou plutôt pour survivre l'hiver. Son monde intérieur. Se laisser aller.

 

 

 

Peu à peu, la vague de sa respiration l'entraîne. Son esprit se calme. Elle regarde par la fenêtre le paysage enneigé, l'arbre nu, les sommets des montagnes.

 

Peu à peu, une certitude, une seule, sourd dans son coeur... Le printemps.

 

Il reviendra, avec ses mouvements de vie, ses nuances de vert, de jaune, de bleu, ses milliers de couleurs éclatantes, ses pépiements d'oiseaux. Le murmure du ruisseau qui se forme au dégel des glaces là-haut, la douce brise qui fera frémir les feuilles nouvelles, dans cet arbre, squelette aujourd'hui.

 

Le vent qui lui apportera le tendre parfum des fleurs fraîchement écloses, de la terre mouillée, de l'odeur musquée des animaux qui progressivement se réveilleront de leur sommeil hivernal.

 

 

 

La chaleur du soleil caressera son visage à travers la vitre, telle la main de l'homme. Elle sait alors qu'il sera temps. Temps pour elle de sortir, de trouver d'autres graines à planter. Dans sa terre. Dans son ventre. Dans son coeur.

 

 

 

Méladone, le 25/02/2020